Hotel d’Escoville – 12 Place Saint Pierre – 14000 CAEN – Tél. : 02 31 86 14 16

Historique

Jacques Moisant de Brieux

Le Fondateur

Il est certes important de replacer Moisant dans son environnement social et familial, cette étude témoignant, en outre, dans le cas présent, d'une ascension sociale exemplaire sous l'Ancien Régime.

La famille Moisant était originaire de Bretagne, où elle avait donné des Conseillers au Parlement, des Sénéchaux, des Lieutenants Généraux, ainsi que quelques soldats et membres du Clergé. Au XVIe siècle, on trouve à Rouen Nicolas de Moisant de confession protestante, (on dira la R.P.R., religion prétendue réformée) qui a amassé une solide fortune dans le commerce du drap. Rouen est alors la deuxième ville du royaume et l'une des plus actives.

Ce Nicolas Moisant est l'arrière grand-père de Jacques; un autre Nicolas, le grand-père, épouse en 1555 Catherine Péronne de Dieppe. Un de leurs onze enfants, Guillaume, vient s'installer à Caen, y poursuit le commerce du drap et finit par acheter la plus belle maison de la ville : l'Hôtel d'Escoville, dit du Grand Cheval, en raison d'un remarquable sujet décoratif (détruit en 1793) représentant le cavalier de l'Apocalypse et ornant le fronton de la porte d'entrée.

De son mariage avec Marthe Soyer de Dieppe en 1605 naîtront deux filles et un garçon : Jacques.

L'alliance Soyer représente pour Guillaume Moisant une très belle union qui rend compte de la situation florissante du mari. Le milieu qui entoure Moisant comporte des hommes de robe, titulaires d'offices, bourgeoisie riche ou noblesse récente, tous gens actifs, entreprenants, désireux de s'élever dans l'échelle sociale et par ailleurs protestants, donc membres d'une minorité soucieuse d'une solidarité agissante.

Pour ce qui concerne Guillaume Moisant, il achète en 1618 la terre de Brieux près de Caen et s'appellera désormais Moisant de Brieux. Il meurt en 1624.

Jacques Moisant de Brieux, né le 15 mai 1611, avait commencé de solides études au Collège du Bois de Caen, avec comme professeur Antoine Halley, qui l'initiera à la poésie latine et à qui il restera toujours attaché; il reçoit ensuite l'éducation des jeunes calvinistes de son temps : d'abord un séjour à Sedan où il rencontre le futur Duc de Montausier (1610-1690) auquel le liera une amitié de toute la vie. Montausier deviendra Gouverneur de Normandie et reverra Moisant à Caen en 1663.

Après quelques voyages et l'achat d'une charge de Conseiller au Parlement de Metz, Moisant épouse Catherine Van der Thomb, également réformée, qui apporte à cet homme déjà riche une dot de 100.000 livres. Dès son retour à Caen, Jacques Moisant se consacre à la vie littéraire et aux contacts avec les érudits de la région; il reçoit une société choisie, à laquelle il peut consacrer toute son activité Après avoir acheté en 1637 le fief de la Luzerne à Bernières sur mer, il partage son temps entre une vie intellectuelle brillante en ville et une existence plus patriarcale à la campagne, où il trouve repos, lecture, réflexion, ainsi que le temps de cultiver (au sens propre) son jardin et d'admirer la mer, qui s'étend à perte de vue , face au Manoir.

L'Académie Française vient de se constituer en 1635, commencée chez Conrart, réglementée par Chapelain et poursuivie sous l'égide et le patronage de Richelieu qui en fait adopter les statuts.

Or, Moisant de Brieux rencontre souvent Conrart, et on connaît ses liens avec Montausier, le gendre de Madame de Rambouillet, c'est alors que va prendre naissance l'idée de l'Académie de Caen.

Au-delà des madrigaux et des épigrammes où chacun développe ses talents, Moisant recherche une littérature plus travaillée : il publie un poème latin " Gallus Gallinaceus", qui lui vaut un collier d'or de la Reine Christine de Suède . On connaît la flatteuse réputation de cette Reine dans les milieux littéraires et philosophiques de son temps.

Dans le même esprit, Moisant de Brieux entretient habituellement en latin une abondante correspondance avec ses nombreuses relations, en particulier Ménage, Conrart, Godeau et Chapelain, qui formulait ainsi son jugement sur Caen : "Caen est un autre Paris pour le savoir, pour le style, et bien qu'il ne soit pas si populeux ni si vaste , je ne le trouve pas moins grand du côté de l'exquise politesse et du profond savoir".

Autre correspondant de choix : Jean Regnault de Segrais, le poète caennais devenu parisien :

 

"Segrais, l'ami franc et loyal
Cœur formé de ce pur métal
Qu'on vit reluire au premier âge"

 

Anobli par Louis XIV en 1644, Moisant reçoit ses lettres en 1665 confirmant sa noblesse" pour l'estime et la réputation qu'il s'est acquises parmi les Savants et les Gens de Lettres" . Il porte "d'azur à trois croix d'or, placés deux et un".

Le poète passe les années suivantes à asseoir sa réputation littéraire. Ses amis et lui décident ensuite de créer en 1652 l'Académie des Belles Lettres de Caen "sœur cadette de l'Académie Française" comme la nomment les grands écrivains du règne de Louis XIV.

A cette époque, il se présente comme un penseur fin et délicat, un homme aimable et conciliant, obligeant et serviable, et qui n'est ambitieux que pour l'Académie qu'il a fondée.

Ses publications se succèderont régulièrement jusqu'à sa disparition : lettres, textes critiques, poèmes, paraphrases de psaumes (la plupart du temps en latin), puis vers la fin de sa vie des, : "Méditations morales et chrétiennes", "Divertissements curieux", surtout "Origines de quelques coutumes anciennes" (qui reste le seul ouvrage encore consulté de nos jours).

La fin de la vie du fondateur de l'Académie de Caen est assombrie par des deuils familiaux et par les souffrances liées à une santé délicate; la vie littéraire n'est même pas épargnée puisqu'en 1667, une discussion violente oppose Samuel Bochart, l'ami de toujours, à l'évêque d'Avranches, P.D. Huet, lui aussi son ami ; brusquement Bochart s'effondre et meurt dans les bras de Moisant, à 68 ans.

Peu à peu le poète se détache des biens de ce monde. En mai 1674, il succombe dans les suites post-opératoires d'une intervention pour la maladie de la pierre. C'est Halley, son vieux précepteur qui annoncera sa mort au  Duc de Montausier ; Moisant avait écrit :

 

"Mon âme, souviens-toi de ta haute noblesse
Quittons, quittons la terre et contemplons les cieux."

 

Bayle jugeait Moisant de Brieux "le plus grand poète qui fut en France et fort versé dans les Belles Lettres" ; il est sans nul doute un excellent poète latin très apprécié de ses contemporains, sa poésie française apparaît un peu plus artificielle, mais certaines de ses lettres témoignent d'une verve et d'un esprit qui l'apparenteraient à Voiture.

Quoi qu'il en soit, le fondateur de l'Académie de Caen ne mérite pas l'injuste oubli dans lequel on le tient ordinairement et il devrait don figurer en place honorable dans les anthologies relatives au XVIIe siècle.

Des six enfants du couple Moisant, sa fille Catherine, et François, l'aîné (qui se convertira lors de la Révocation de l'Édit de Nantes) auront postérité - féminine - encore représentée de nos jours.